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EH

Ce qui est bien, dans une soirée open bar, c'est que les hommes ne peuvent pas offrir de verres aux filles pour les accoster, puisque de toute façon c'est gratuit. Le temps pour eux de trouver une autre technique d'approche, je disposais de quelques instants de répit avec Chérie. Avant qu'on ne me l'enlève, et que je ne finisse la soirée tout seul, à regarder ma montre. J'avais peut-être une chance ce soir, puisque nous étions entourés de putes, que Chérie n'ait pas de succès. Toutefois je préférais prendre les devants, et m'enfiler une bouteille de vodka tout en scrutant la pièce, à la recherche d'une vague connaissance à qui je pourrais tenir la jambe une fois Chérie partie. Mais quelle horreur ce prénom, Chérie.

Robe de pute

J'ai appelé cette connasse toute la journée, pour savoir si oui ou merde j'étais encore prévu dans son planning du samedi soir. J'étais déjà énervé, Zaza l'avait compris, elle n'essayait plus de me parler. Il était 15 heures et j'étais fatigué, et sale, j'avais faim, et des brûlures d'estomac. J'avais passé, la veille, une des soirées les plus kitsch de ma vie, j'avais donc du mettre la dose pour ne pas faire la gueule, et le résultat se faisait sentir aujourd'hui. La dernière des choses que je voulais était ressortir ce soir, cependant je refusais de faire partie de ces gens qui ne sortent pas, le samedi soir, simplement parce qu'on les a oubliés. Par principe, alors, je voulais qu'on me désire, qu'on insiste, je voulais savourer les supplications, et le fait de me sentir indispensable. Je comptais sur cette brève scène téléphonique pour me rendre mon humeur. Mais cette connasse était sur messagerie. Et moi, sur les nerfs.
Il me fallu attendre les coups de 18 heures avant de sentir mon téléphone vibrer. Il commençait déjà à faire nuit. Me tirant péniblement de mon sommeil, je ne pu décrocher qu'à la troisième tentative d'appel, ce qui n'est pas plus mal, après tout; c'était lui rendre la monnaie de sa pièce. Je tentai alors courageusement de décliner l'invitation de ce soir, en espérant qu'elle ne s'attarde pas trop sur ses états d'âmes, combien elle est déçue, tu me fais toujours le coup, pauvre con. Je voulais me rendormir au plus vite; je n'étais plus d'attaque pour rien, encore moins pour les excuses. Seulement, encore embrouillé par la sieste, et un peu désarmé face à l'enthousiasme de Chérie, je me retrouvai rapidement en train de fixer le rendez-vous de ce soir, souhaitant "que ça soit bien", d'accord, je me brosse les dents et à tout de suite. Deux heures après j'étais en bas de chez elle. C'est vrai que je suis un pauvre con.
Je ne sais pas pourquoi je l'ai appelée Chérie dans l'histoire, c'est un nom de pouffe (ou de caniche de pouffe). Chérie n'aime pas les chiens, pourtant ils partagent la même passion de la saucisse. Du reste, avec la pluie, elle allait vite ressembler à un caniche. Mais j'aime bien l'appeler Chérie, avec moi ça sonne mondain. Elle s'était appliqué à lisser ses cheveux, pendant une heure et demie que j'étais chez elle. Elle avait une robe noire, sobre, un peu brillante, fatalement plus longue que celles de ses copines, qui n'avaient visiblement aucune gêne à montrer leur culotte. Ses copines sont vraiment des putes, Chérie, ça va encore. En général, j'aime bien sortir avec elle, je sais toujours qu'à un moment ou un autre je vais devoir la réconforter. J'aime bien ça, réconforter les gens, je me sens un peu comme Zaza l'assistante sociale.
J'étais un peu désolé de débarquer à la soirée comme ça, devant tout le monde, accompagné de ma bande de pouffes. Je ne connaissais presque personne, tout le monde me regardait. On aurait dit que tout dépendait de ce que j'allais dire; "libérez les lionnes", "la chasse est ouverte"... en amenant toutes ses copines, Chérie avait provoqué un rut général. Et on me prenait pour le chef de la tribu. Mais c'est vrai que Chérie a beaucoup de copines. Des hystériques en plus, qui se font remarquer. Je me sentais presque responsable de la longueur de leur robe. Je me sentais con, assis dans mon canapé, incapable de rendre leur dignité à ces filles, qui ne paraissaient même pas s'apercevoir de la façon dont les hommes les observaient. C'est peut-être ça une vraie pute: une bonasse blasée. Ca se donne en spectacle et ça glougloute autour d'une petite table, mais toujours entre copines. Toutes les autres filles faisaient la gueule: désolé.
Mais nous ne sommes pas restés longtemps le centre de l'attention; les bandes de poulettes arrivaient les unes après les autres, chacune faisant oublier la précédente, et rapidement, les filles de mon troupeau finirent à leur tour par faire la gueule: désolé. Finalement, l'endroit se remplissait de Chérie, plein de Chérie avec les cheveux lisses, mais sans frange, parce que ça colle au front.  Je voyais bien que ce soir, c'était reparti pour une soirée kitsch: fais chier, je vais encore devoir boire.

To lose my life

TO DO LIST:
Changer de shampoing , me faire remarquer, être moins kitsch, fréquenter des russes, brûler des calories, fêter mon anniversaire, mettre un masque, bouffer des algues, lire mon horoscope, trouver des surnoms, des drôles, jeter mes vieux habits, marcher plus, dormir moins, acheter des gobelets, apprendre les constellations, montrer ma Lune, dormir plus, acheter des pailles, apprendre les capitales, trouver un colocataire, faire les comptes, conduire un bus, avoir un magasin, prendre l'accent anglais, boire du lait, être bien élevé, courir vite, faire mes devoirs, gratter mes croutes, être distant, faire des mélanges, parler à d'autres, bronzer sur le balcon, aller voter, à bas la campagne, sortir plus, faire catcheur, mais pas Rourke, danser mieux, mais pas Travolta, être sympa, mais pas pigeon.

Goody goody

"Tu viens ce soir hein ? J'ai peur de me faire chier."

Websites

http://ericyahnker.com/
James Cooper

Stay tuned



Je sais déjà comment je vais me coucher ce soir (à part tout seul): en faisant la gueule. Et ça fait déjà un moment que ça dure ce petit jeu. Moi je rentre le soir après ma journée à la con chez les prépas, et la seule chose que je demande c'est de pouvoir jouer à Zelda, le finir et qu'on n'en parle plus. Je sais pas pourquoi je m'acharne là-dessus, j'ai du développer un psychoproblème qui ne s'en ira pas tant que je ne terminerais pas complètement le jeu. Ou bien, c'est qu'il y avait un geek en moi qui ne demandait qu'à se manifester. En tout cas, j'y mets tout mon coeur, le soir chez moi, posé comme un attardé sur le canapé, à me casser le cul pour que ce haricot de Link parvienne à traverser une grotte sans se faire bouffer. En plus je ne comprends rien aux énigmes. (Et puis c'est quoi ce nom, Link, ça fait câble d'ordinateur.)
Mais comme si c'en n'était pas assez, que tous les soirs, je convulse devant ma console à chaque Game Over, il me fallait Zaza pour en remettre une couche. Genre obligée de me faire un topo sur ce qu'on va manger dans la demi-heure (c'est vrai, j'en pouvais plus de ce suspens) pendant que je me bouffe l'intérieur des joues à essayer de gagner un mini-jeu d'arcade.
C'est vrai que, dit comme ça, on pencherait plutôt en faveur de Zaza, mais je suis sûr qu'il y en a qui me comprennent, ici bas. Et puis, le problème ne tient pas tant à une partie épileptique de Zelda pendant laquelle je ne demande qu'à être peinard, il s'agit surtout de cette affreuse manie, dans ma famille, qu'ont les gens à ne pas pouvoir s'empêcher de parler.
L'autre jour je passais par hasard devant la télé, qui toute seule s'était allumé sur M6. Et là, j'entendis une phrase qui bouleversa ma vie, tant elle me paru limpide: "Je m'en bat les couilles de tes petites histoires, si tu as quelque chose d'important à me dire je t'écoute, mais c'est tout". C'était deux vieux qui s'engueulaient. Une déduction rapide tendrait à dire que je suis un vieux con, ce qui n'est pas faux puisque je commence déjà à me plaindre de la nouvelle génération qui-ne-comprend-rien. Et c'est sans parler du rituel tisane, chaque soir, c'est vrai que ça fait jeune.
Mais ce n'est pas si simple en réalité; je fais l'objet d'un complot entre ma soeur et Zaza, qui, visiblement, se partagent le travail en vue de me faire craquer. Elles veulent que je me casse ou quoi ? Ma soeur s'occupe de la première partie du plan, et me tient la jambe en attendant que Zaza rentre du boulot et prenne le relai. Et chacune a ses sujets de prédilection, des chiens jusqu'au Glamour, en passant par les repas, les soldes, les voisins, les courses... On passe tout en revue le soir à table, un des derniers moments privilégiés qui maintiennent serrés les liens familiaux, d'après ce que j'apprends en sociologie. Mais on a beau essayer de me justifier cette pratique, je ne comprends toujours pas pourquoi on m'oblige à mettre Zelda sur "pause" pour aller écouter les petites histoires de tout le monde, autour d'une soupe. Vraiment, parfois, je me dis que j'ai du cran.
Bien entendu, il me va bien, à moi, ce rôle de roi du silence, alors que parmi eux, à mon avis, je suis à placer au centre, la clé de voûte, le rouage manquant du système. Je suis là, je les écoute, je les relance, pose des questions, et même si je fais la gueule, j'aime ça. Le premier à halluciner pour la moindre anecdote, j'en fais des tonnes lorsque je raconte les miennes, toujours les mêmes, que j'arrange au fur et à mesure que je les raconte, je m'écoute parler et j'occupe l'espace. Et comme si je n'en faisais pas assez, je suis au taquet quand j'écris, puisque au moins je peux parler sans être interrompu.
A mon avis, c'est de ma faute tout ce qui se passe à la maison. Je suis bien content quand on m'écoute (et surtout quand je fais rire), et avant, j'étais le premier à prendre Zaza en otage. Mais désormais, il y a Zelda pour compenser, alors je fais la gueule parce que le bavardage, c'est devenu de trop. Mais elles n'y peuvent rien, ma soeur et Zaza, comment auraient-elles pu remarquer le changement: avec ou sans Zelda, j'ai l'air d'un attardé sur le canapé. Eh mais dis donc, je commence à relativiser on dirait, aurais-je mûri ?
Il vaudrait mieux pour moi que je finisse rapidement Zelda, parce qu'à part faire la gueule (on peut faire les deux en même temps) je ne fais plus grand chose d'autre. Eh, on est en 2010, nouvelle décennie et tout ! En 2020 j'aurais trente ans et ce sera la dèche, alors il vaudrait mieux que j'arrête de perdre mon temps sur le canapé. Non mais, hein, j'ai le temps quand même.