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Stay tuned



Je sais déjà comment je vais me coucher ce soir (à part tout seul): en faisant la gueule. Et ça fait déjà un moment que ça dure ce petit jeu. Moi je rentre le soir après ma journée à la con chez les prépas, et la seule chose que je demande c'est de pouvoir jouer à Zelda, le finir et qu'on n'en parle plus. Je sais pas pourquoi je m'acharne là-dessus, j'ai du développer un psychoproblème qui ne s'en ira pas tant que je ne terminerais pas complètement le jeu. Ou bien, c'est qu'il y avait un geek en moi qui ne demandait qu'à se manifester. En tout cas, j'y mets tout mon coeur, le soir chez moi, posé comme un attardé sur le canapé, à me casser le cul pour que ce haricot de Link parvienne à traverser une grotte sans se faire bouffer. En plus je ne comprends rien aux énigmes. (Et puis c'est quoi ce nom, Link, ça fait câble d'ordinateur.)
Mais comme si c'en n'était pas assez, que tous les soirs, je convulse devant ma console à chaque Game Over, il me fallait Zaza pour en remettre une couche. Genre obligée de me faire un topo sur ce qu'on va manger dans la demi-heure (c'est vrai, j'en pouvais plus de ce suspens) pendant que je me bouffe l'intérieur des joues à essayer de gagner un mini-jeu d'arcade.
C'est vrai que, dit comme ça, on pencherait plutôt en faveur de Zaza, mais je suis sûr qu'il y en a qui me comprennent, ici bas. Et puis, le problème ne tient pas tant à une partie épileptique de Zelda pendant laquelle je ne demande qu'à être peinard, il s'agit surtout de cette affreuse manie, dans ma famille, qu'ont les gens à ne pas pouvoir s'empêcher de parler.
L'autre jour je passais par hasard devant la télé, qui toute seule s'était allumé sur M6. Et là, j'entendis une phrase qui bouleversa ma vie, tant elle me paru limpide: "Je m'en bat les couilles de tes petites histoires, si tu as quelque chose d'important à me dire je t'écoute, mais c'est tout". C'était deux vieux qui s'engueulaient. Une déduction rapide tendrait à dire que je suis un vieux con, ce qui n'est pas faux puisque je commence déjà à me plaindre de la nouvelle génération qui-ne-comprend-rien. Et c'est sans parler du rituel tisane, chaque soir, c'est vrai que ça fait jeune.
Mais ce n'est pas si simple en réalité; je fais l'objet d'un complot entre ma soeur et Zaza, qui, visiblement, se partagent le travail en vue de me faire craquer. Elles veulent que je me casse ou quoi ? Ma soeur s'occupe de la première partie du plan, et me tient la jambe en attendant que Zaza rentre du boulot et prenne le relai. Et chacune a ses sujets de prédilection, des chiens jusqu'au Glamour, en passant par les repas, les soldes, les voisins, les courses... On passe tout en revue le soir à table, un des derniers moments privilégiés qui maintiennent serrés les liens familiaux, d'après ce que j'apprends en sociologie. Mais on a beau essayer de me justifier cette pratique, je ne comprends toujours pas pourquoi on m'oblige à mettre Zelda sur "pause" pour aller écouter les petites histoires de tout le monde, autour d'une soupe. Vraiment, parfois, je me dis que j'ai du cran.
Bien entendu, il me va bien, à moi, ce rôle de roi du silence, alors que parmi eux, à mon avis, je suis à placer au centre, la clé de voûte, le rouage manquant du système. Je suis là, je les écoute, je les relance, pose des questions, et même si je fais la gueule, j'aime ça. Le premier à halluciner pour la moindre anecdote, j'en fais des tonnes lorsque je raconte les miennes, toujours les mêmes, que j'arrange au fur et à mesure que je les raconte, je m'écoute parler et j'occupe l'espace. Et comme si je n'en faisais pas assez, je suis au taquet quand j'écris, puisque au moins je peux parler sans être interrompu.
A mon avis, c'est de ma faute tout ce qui se passe à la maison. Je suis bien content quand on m'écoute (et surtout quand je fais rire), et avant, j'étais le premier à prendre Zaza en otage. Mais désormais, il y a Zelda pour compenser, alors je fais la gueule parce que le bavardage, c'est devenu de trop. Mais elles n'y peuvent rien, ma soeur et Zaza, comment auraient-elles pu remarquer le changement: avec ou sans Zelda, j'ai l'air d'un attardé sur le canapé. Eh mais dis donc, je commence à relativiser on dirait, aurais-je mûri ?
Il vaudrait mieux pour moi que je finisse rapidement Zelda, parce qu'à part faire la gueule (on peut faire les deux en même temps) je ne fais plus grand chose d'autre. Eh, on est en 2010, nouvelle décennie et tout ! En 2020 j'aurais trente ans et ce sera la dèche, alors il vaudrait mieux que j'arrête de perdre mon temps sur le canapé. Non mais, hein, j'ai le temps quand même.

Glory days

Et maintenant ? Le 10.01.10, c'est déjà plus mon anniversaire, et je me retrouve tout seul chez moi, à 00:10 en plus, tiens. En ASCII, j'ai vérifié, 0100110 se traduit par &, c'est sûrement un signe mais j'ai pas encore trouvé lequel. Je me sens tellement abandonné, même par les chiffres.
Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois que je repense à la décennie qui vient de s'achever, ce ne sont qu'une image de la mort d'Aaliyah et une autre d'une soirée chez Samy qui me viennent spontanément à l'esprit, formant en quelques sortes la couche superficielle de mes souvenirs. Là encore, il faudrait que l'on m'explique le sens. Aaliyah, ce n'est pas non plus Lady Di, ni Mickael Jackson, et Samy... on avait mis du papier toilette dans son arbre, quoi. Je crois qu'il faut que j'aille voir un psy. Jules le paumé. Et maintenant que papa est parti faire sa crise de la cinquantaine sur une île, je me sens abandonné (il parait que j'avais déjà dit ça à quatre ans lorsqu'il a divorcé). Non mais c'est pas grave, il nous ramènera du saucisson.
Je sais pas trop ce que j'écris, là. Je parle à un ordi je crois, j'essaye de faire le bilan de la décennie et en même temps celui de la décade, et ça donne n'importe quoi. Même les prépas renoncent à continuer, et nous abandonnent, tandis que mon père est parti et me laisse sans-abri, alors à quoi je m'accroche. Dès lundi, je me trouve de nouveaux repères. Re-pères, c'est encore un signe ?
Je vais acheter le Rolling Stone, il parait qu'ils y font le bilan de la décennie, ça mettra déjà un peu d'ordre. Putain, mais c'est ça le problème, je fais tout faire par les autres, je ne suis même plus capable de penser mes propres souvenirs, je vais les chercher sur du papier glacé. J'ai besoin d'aide pour tout en fait, et je pleurniche dès qu'on me laisse seul. Je ne peux même plus penser seul. Bon allez, tout ce que j'ai à faire, c'est mûrir. Lindsay Lohan a mûrit, alors ça ne doit pas être très compliqué.
(putain Juliette, je viens de retrouver une gommette dans mon cou)

KIKOU

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