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Réticence



J'arrive peinard, comme à mon habitude, sur le quai. La tête un petit peu dans le cul, histoire de montrer que je n'ai pas envie que l'on vienne me faire chier, histoire de répondre avant la question, au cas où. Ca devrait être écrit sur mon front, ou je sais pas, quelque chose qui indique que le magasin est fermé une fois mes écouteurs dans les oreilles. Non, je n'ai pas l'heure, non, je n'ai pas d'argent, non, on ne s'est jamais rencontrés. J'ai déjà du changer d'itinéraire pour arriver jusqu'ici, pour ne pas me taper le chemin avec les glands du lycée, ceux que je ne reverrai plus jamais après cette année, mais qui persistent quand même à vouloir tout savoir de moi, et qui en retour, se sentent obligés de détailler leur dernière prise de tête avec chérie, à la sauce Destin de Lisa pour enfoncer le clou. Autant de raisons pour m'empêcher de remettre ton mp3, et me dire qu'il faudra vraiment couper les ponts avec certains après le Bac. Ce n'est pas grave, j'ai marché plus longtemps mais ça en valait le coup. J'ai loupé le train rapide et je dois prendre celui qui s'arrête partout, mais au moins on m'a foutu la paix. Qu'est-ce que je sens sur mon épaule ?
-Jules ?
PUTAIN, je me suis foutu dedans comme un débutant, je ne surveille jamais mes arrières !
-Machine ? ça doit faire deux ans que je n'ai plus de nouvelles ! Comment tu vas ?
Je m'en fous. Mais elle me répond, ça y est, elle commence à me parler d'elle. J'ai juste demandé si ça allait, pour parler, afficher un ton jovial et surpris, histoire de contraster avec la tête de déconfit que je devais tirer, et la voilà partie. Je couvre le malaise comme je peux. Je ne me vois pas, mais je sens bien que je fais la gueule. Et elle continue. Nous montons dans le train, je m'en fous de ce qu'elle raconte, c'est long. Je la relance de temps en temps et je serre les fesses. Si je n'avais pas loupé mon train, aussi ! Elle est bien sur sa lancée, je peux faire une croix sur mon bouquin.
-Et toi alors ?
C'est déjà à mon tour ? Et je dois commencer du début, en plus. J'adore. Je m'attends déjà à l'ajout Facebook ce soir.
Elle parle fort en plus, la totale. Les gens vont croire que nous sommes amis. Je tente une blague, elle ne rie pas. Quelle salope, et moi qui, depuis tout à l'heure, m'efforce de m'intéresser, elle n'est pas foutue de faire semblant de rire. Jamais vu ça. En plus que la bonne répartie vient de me surgir à l'instant, mais bien sûr c'est trop tard ! Bon, quand est-ce qu'on arrive, je n'ose pas regarder ma montre. Je ne prendrai plus ce train.
Elle n'est pas si chiante au fond, et la frustration de ne plus être peinard s'en est allée. Je rigole sincèrement. Moi, au moins, je rigole ! Je retente une blague, que même moi je ne trouve pas drôle. Que les gens d'à côté n'ont pas trouvé drôle. Le silence recouvre le bruit du moteur. Merde, je deviens le lourd de l'histoire. Non, je suis en position de supériorité, c'est elle qui est venu me chercher sur le quai ! Mais peut-être qu'elle regrette ? Et si ça se trouve, elle s'est forcée de venir vers moi ? Qu'est-ce qui est en train de se passer, je ne suis pas comme ça d'habitude, j'ai envie de lui dire ! Mes oreilles se bouchent, je dois rougir aussi. Et merde, le train s'arrête, je n'ai plus le temps de me rattraper. Je n'essaye même plus l'humour, j'ai compris, à bientôt. Je rentre chez moi. Elle ne pense déjà plus à m'ajouter sur Facebook, c'est sûr.
Je l'ajoute. C'est moi le lourd. Fais chier.

Rien qui n'aille





Je me suis levé ce matin, je me suis rendormi devant mes céréales, je me suis réveillé avec un jus de fruits, et comment je m'habille aujourd'hui, j'ai mis mes chaussures, je me suis rendormi dans la voiture, je me suis réveillé au feu rouge, je suis sorti, j'ai mis ma capuche et j'ai marché, j'ai parlé toute la matinée puis j'ai mangé, j'ai pris un chewing-gum, je suis resté au lycée, je me suis retenu, j'ai essayé, mais pas assez. J'ai mis ma capuche et je suis sorti, tout est sorti. Et je suis revenu.
-J'ai fait au plus vite, quelqu'un a remarqué quelque chose ?
-On sait tous que t'es allé chier, Jules.
J'ai décroché, j'ai parlé, j'ai raccroché, plus d'insultes entre nous, je suis allé en cours, je me suis assis, j'ai pris des notes, j'ai parlé, je me suis relevé et je suis parti.
Je me suis rendormi dans le train, je me suis réveillé à l'arrêt, je suis descendu, j'ai mis ma capuche et j'ai marché, je suis rentré, j'ai enlevé mes chaussures, monté les escaliers, je me suis changé, je suis redescendu et j'ai dit bonjour, j'ai parlé, qu'est-ce qu'on mange. J'ai allumé l'ordi, je vais voir Bloc Party, j'ai allumé la télé, j'ai entendu Sia. Je vais voir Rye Rye, je vais voir Yuksek, je vais voir Birdy Nam Nam, je vais voir Diplo, et Yeah Yeah Yeahs, et La Roux, Kanye West, The Noisettes, The Prodigy, et KAP BAMBINO. KAP BAMBINO KAP BAMBINO. Et Sefyu ?
Je n'ai plus décroché, c'est moi le connard, j'ai pris une douche, coupé mes cheveux, je suis allé sur Facebook, quoi de neuf chez mes lourdos de potes.
-Tiens, Nina la rousse a mille deux cents amis.
-A force de se faire tourner, aussi...
-Tiens, sur sa photo, on dirait un travelo sous cortisone.
-A force de se faire tourner, aussi...
Je ne décroche plus. Plus d'insultes entre nous. Je monte me coucher. Je me rendors pour de bon. Il pleut. Demain je fais la paix.

Agence



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Protein shake



Je me suis réinscrit encore une fois, mais c'est la dernière je le jure ! J'y vais pour "garder la forme", c'est tout, ou plutôt pour la gagner, un peu mais pas trop gonflée quand même. J'ai bien trop peur de toute façon de finir comme eux, bronzé et stéroïdé. Je m'arrêterai à temps, c'est ce que je me dis pour ne pas angoisser du fait que je pourrai bientôt ressembler à un catcheur de RTL9. Mais en même temps, dans une ambiance pareille, c'est difficile de ne pas succomber à la démesure Muscle and Fitness tant on se sent fébrile, à côté de ces titans de la fonte. Je ne le savais pas mais au club de Molsheim on prend la chose très au sérieux, on ne rigole pas avec les haltères, on les soulève, tous les adhérents ont l'air d'être abonnés à Flex, sauf moi, c'est dire à quel point j'ai l'air de débarquer quand je viens le soir pour faire mes vingt petites minutes de course sur le tapis.
Il y a une ambiance de la quatrième dimension, de musique à fond et d'hommes camions. Des créatures refaites-foraine, contour des lèvres et perruque blonde, du bétail de compétition, des fois je me demande si je ne suis pas tombé sur l'arche de Noé des beaufs, mais allez savoir aussi, pourquoi les sauverait-on du déluge ? Enfin bon, du moment que j'y trouve mon compte, je reste tranquille dans mon coin, et ça suffit comme ça pour les critiques. Si à chaque fois, les gens devaient passer à la casserole lorsque je trouve quelque chose à redire, on ne s'en sortirait plus sur ce blog. Et puis bon, je suis sûr qu'eux aussi, au club de sport, ils doivent se foutre de moi, donc ça fait un partout.
Parce que de deux choses l'une: ou bien ils me prennent pour un Sims à force de toujours me voir dans les mêmes vêtements, ou bien je passe pour un poisseux qui ne se change jamais. Dans les deux cas c'est bizarre, en plus que, là-bas, j'ai l'impression d'être le seul à transpirer. Ils doivent avoir tellement l'habitude, eux, de tracter des poids, qu'ils ne ressentent plus l'effort. Moi, qui suis toujours borderline avec l'hernie discale tellement je fais n'importe quoi, j'agonise d'effort à chaque poussée, et je suis le seul dans ce cas, bien entendu. Tout seul à être rouge, tout seul à être transpirant, tout seul à squatter les machines. En plus il paraît qu'à cause de moi, le club est surveillé par le fisc, trop drôle. Même lorsque je ne demande rien à personne, j'arrive à me faire remarquer. Et à être le pire du troupeau.

Popinski